Équité, diversité et inclusion dans le diagnostic des troubles neurocognitifs : le point de vue canadien


Canada

Les recherches ont démontré que le taux de prévalence des troubles neurocognitifs dans les communautés diversifiées d’un point de vue racial était plus élevé et que celles-ci se heurtaient à des défis disproportionnés à cause du manque de soutien communautaire et du manque d’aidants respectueux des valeurs culturelles de leurs membres. Découvrez-en plus dans cet essai de recherche du World Alzheimer Report de 2021.

Senior woman hugging her family member in the park during a sunny day.

Ce commentaire est dirigé par Ngozi Iroanyah, gestionnaire des partenariats communautaires et de la diversité à la Société Alzheimer du Canada.

Veuillez noter que cet article est paru à l’origine dans le World Alzheimer Report 2021 : Journey through the diagnosis of dementia (pages 235 à 237, en anglais) d’Alzheimer’s Disease International.

Le Canada, comme d’autres nations occidentales, a connu des changements démographiques sans précédent dans toutes les tranches d’âge de sa population. Depuis 2016, le nombre d’adultes de plus de 65 ans dépasse celui des 0 à 14 ans (1). De plus, on constate une augmentation à la fois du taux d’immigration, et des différences entre les pays d’origine des nouveaux arrivants. Le résultat de cette augmentation est qu’un Canadien sur cinq s’identifie maintenant comme étant né à l’étranger et qu’un Canadien sur cinq s’identifie également comme appartenant à une minorité visible (2). Alors que les troubles neurocognitifs sont sur le point de toucher près d’un million de Canadiens d’ici 2030 (3), il est essentiel de comprendre les besoins et les expériences de ces communautés diversifiées d’un point de vue racial lorsque leurs membres accèdent aux services et programmes de soins destinés aux personnes vivant avec l’une ou l’autre de ces maladies.

Contrairement à d’autres nations occidentales, il existe peu de données ou de ressources canadiennes portant sur les besoins et les expériences des personnes vivant avec un trouble neurocognitif qui sont issues de ces communautés, en particulier à l’échelle de la population (4,5). Des études spécifiques ont révélé que le taux de prévalence des troubles neurocognitifs y était plus élevé et que leurs membres étaient confrontés à des défis disproportionnés en raison du manque de soutien communautaire et du manque d’aidants respectueux de leurs valeurs culturelles, mais aussi en raison d’un faible niveau de sensibilisation systémique à l’égard de leurs besoins en matière d’éducation et de leurs comportements en matière de santé (4,6). Ce manque de connaissances peut exacerber encore plus le fardeau des soins que ressentent ces communautés, et mener notamment à une augmentation de l’isolement, de la stigmatisation et des diagnostics tardifs.

Il a été démontré que l’obtention d’un diagnostic de trouble neurocognitif en temps opportun contribue à en ralentir la progression. Pourtant, le processus décisionnel visant à obtenir un diagnostic pour les personnes atteintes de trouble neurocognitif issues de milieux racialisés reste complexe. Ce processus opère sur les plans culturel et structurel. Les obstacles culturels sont liés à la fois aux connaissances et à la société. Ceux liés aux connaissances comprennent le fait d’attribuer (erronément) les causes de ces maladies à des origines spirituelles, psychologiques, physiques ou sociales (7,8); on notera également la croyance selon laquelle les troubles neurocognitifs font partie du processus de vieillissement normal, la mauvaise interprétation des changements de comportement et de personnalité ainsi que le fait de ne pas éprouver le besoin de chercher à obtenir un diagnostic ou du soutien (9). Les obstacles culturels liés à la société peuvent comprendre la peur de la honte, l’ostracisme et la stigmatisation au sein des familles et des communautés (8,10). Les attentes culturelles à l’égard des aidants peuvent entraver la recherche d’un diagnostic; elles peuvent aussi faire peser une lourde responsabilité sur la famille pour subvenir aux besoins des aînés et ainsi retarder l’obtention d’un diagnostic (11).

Il est important de noter que les obstacles culturels ne se produisent pas de manière isolée. Ils peuvent être fortement influencés par des obstacles structurels qui s’inscrivent dans des contextes sociaux plus larges qui guident l’accès aux services de santé. Plus précisément, les obstacles structurels peuvent entraîner une hésitation à s’engager dans le système de santé en raison de la discrimination systémique qui y règne, de la difficulté à s’y orienter, car ils ne sont pas adaptés à la culture et au manque de ressources dans la langue choisie (7,9).

Bien que ces études mettent en évidence certains obstacles rencontrés par les communautés diversifiées d’un point de vue racial, une analyse approfondie doit être menée pour comprendre les expériences et les obstacles auxquels sont confrontés les médecins qui prodiguent des soins au sein de ces communautés. Au Canada, les médecins de soins primaires constituent la porte d’accès pour les personnes qui cherchent à obtenir un diagnostic de trouble neurocognitif, et ces informations sont particulièrement pertinentes dans la prestation des soins par les médecins. En effet, il a été démontré que ces médecins avaient de la difficulté à diagnostiquer avec précision un trouble neurocognitif lorsque leurs patients ne parlent ni l’anglais ni le français, ou que leur niveau d’alphabétisation et d’éducation est faible (12). De plus, bon nombre des outils d’évaluation largement utilisés pour le diagnostic ne sont pas adaptés à la culture. L’éducation, la langue et les facteurs ethnoculturels peuvent affecter les performances aux tests neuropsychologiques et entraîner des faux positifs et des faux négatifs (13,14). Enfin, les médecins de soins primaires peuvent avoir leurs propres préjugés à l’égard des troubles neurocognitifs : ils pourraient éprouver des réticences à confirmer un diagnostic en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle les patients ne veulent pas le recevoir en raison de la stigmatisation qui y est associée ou de leur propre opinion selon laquelle le diagnostic est inutile.

Les recommandations suivantes peuvent donner lieu à un cheminement planifié et systématique menant à l’obtention d’un diagnostic et à l’accès à des services de soutien. Les recommandations à l’échelle de la communauté comprennent la mise en œuvre et l’encouragement de campagnes anti-stigmatisation adéquates et respectueuses des valeurs culturelles, la psychoéducation, le dépistage vigilant, les services culturellement adaptés aux personnes vivant avec un trouble neurocognitif et la sensibilisation (15). Par exemple, les organismes communautaires peuvent fournir des informations et des soutiens personnalisés aux immigrants et aux communautés à risque. Les interventions visant à renforcer les connaissances et la sensibilisation peuvent être adaptées aux besoins des groupes diversifiés d’un point de vue racial. Celles-ci pourraient inclure des brochures d’information multilingues sur les troubles neurocognitifs et les services culturellement adaptés (11).

Les cliniciens doivent également prêter attention aux signes subtils de troubles neurocognitifs éventuels, notamment les rendez-vous manqués ou les maladies chroniques mal gérées (12). Pour éviter de classifier erronément les troubles neurocognitifs en faux positifs et faux négatifs en menant de brèves évaluations cognitives au sein de groupes divers d’un point de vue ethnique, les cliniciens devraient également songer à encourager les personnes âgées à se faire accompagner par un aidant au moment du rendez-vous. Ces accompagnateurs peuvent informer le clinicien de questions spécifiquement culturelles (12), participer à la cognition évaluée par l’informateur et indiquer certains biais potentiels dans les tests (13). Les rapports d’informateurs éclairés par un point de vue culturel peuvent également compléter les tests cognitifs pour améliorer la précision du diagnostic de trouble neurocognitif (14).

L’intégration de ces recommandations dans les Collectivités accueillantes pour les personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer peut aider à normaliser les troubles neurocognitifs afin que les membres et les aidants de ces communautés puissent s’assurer d’obtenir un diagnostic en temps opportun.

En tant que principale organisation nationale qui offre des services d’éducation et de soutien aux personnes vivant avec un trouble neurocognitif, la Société Alzheimer du Canada continue de jouer un rôle crucial dans la mise en œuvre de ces recommandations. Par ailleurs, la Société doit adopter une approche plus active pour établir des relations et comprendre les expériences des communautés diversifiées d’un point de vue ethnique. En partenariat avec le Collège des médecins de famille du Canada, la Société Alzheimer du Canada a lancé la première enquête nationale axée sur la compréhension des besoins des personnes de différentes origines ethniques qui vivent avec un trouble neurocognitif, et a aussi mené un sondage complémentaire auprès des médecins de famille qui prodiguent des soins au sein de ces communautés. Parallèlement à l’enquête, des activités de sensibilisation communautaires ciblées ont lieu au sein des communautés diversifiées d’un point de vue racial. Les données de l’enquête seront partagées avec les communautés pour soutenir leur propre processus de prise de décision et défendre leurs intérêts : une étape rarement franchie, mais cruciale pour renforcer les capacités de ces communautés. La deuxième phase consistera à tirer parti des relations et des soutiens existants comme point de départ, tout en reconnaissant la nécessité de collaborer dans la création des ressources axées sur la culture (au lieu de ressources axées sur la langue).

À mesure que la population des personnes vivant avec un trouble neurocognitif continue de croître et de se diversifier, plus de données et de recherches seront essentielles pour élaborer de meilleures ressources et de meilleurs soutiens axés sur le renforcement des connaissances et de la confiance de ces communautés qui ont longtemps fait face à des obstacles structurels dans le système de santé. Cette étape doit être la première d’une stratégie multimédia pluriannuelle à long terme visant à offrir des programmes et des services de soins aux personnes vivant avec un trouble neurocognitif.

Références

  1. Statistique Canada. Chiffres selon l’âge et le sexe, et selon le type de logement : Faits saillants du Recensement de 2016. Le Quotidien, Catalogue Statistique Canada no. 11-001-X. Stat Canada (Cat no 11-001-X) [Internet]. 2017 [consulté le 9 juillet 2021]; Ottawa. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/170503/dq170503a-fra.htm
  2. Statistique Canada. Immigration et diversité ethnoculturelle : faits saillants du Recensement de 2016. Le Quotidien [Internet]. 2017 [consulté le 9 juillet 2021]; (Catalogue no. 11-001-X) : 1–8. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/171025/dq171025b-fra.htm
  3. Prévalence et coûts financiers des maladies cognitives au Canada : un rapport de la Société Alzheimer du Canada (2016). Heal Promot chronic Dis Prev Canada Res policy Pract. 1er octobre 2016; 36 (10) : 231–2.
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Affiliations d'auteurs

1 Société Alzheimer du Canada

2 Faculté des sciences de la santé, Université Western

Ngozi Iroanyah

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